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L’ Antispila oinophylla, un nouveau phylloxéra ?

Les insectes ennemis de la vigne peuvent causer d'importants ravages. C’était le cas du phylloxéra qui vient irrémédiablement en tête tant il a marqué l’histoire du vin…
Parmi eux, un papillon vient d'être découvert en Europe dans le nord de l’Italie. Il se nomme Antispila oinophylla, n'a pas encore été détecté en France mais la région PACA est sous surveillance.
Lionel Delbac, chercheur en entomologie à l’INRAE de Bordeaux, a eu la gentillesse de répondre à nos questions pour nous aider à examiner au microscope ce petit insecte...

Table des matières

  1. Rappel de la crise du phylloxéra
  2.  La parenthèse masquée : Les vins issus de vignes franches de pied
  3. Faisons connaissance avec Anstispila Oinophylla
  4. Son modus operandi ou pourquoi est-il dangereux pour la vigne?
  5. Remerciements et sources

Rappel de la crise du Phylloxéra

Au XIXème siècle, des passionnés collectionneurs rapportent en France un cépage américain, ignorant qu’il est porteur d’un puceron de 0,5 mm ravageur de la vigne nommé Daktulosphaira vitifoliae ou, de son petit nom : phylloxéra.

En quelques décennies il détruit une très grande partie du vignoble européen et provoque la disparition pure et simple de cépages et vignobles anciens. Sa larve altère la racine de la vigne et provoque la mort du cep en quelques années. Pour stopper la catastrophe, il a fallu arracher plus de deux millions et demi d'hectares de vignes. 

En aparté : Après la dévastation du phylloxéra, le vignoble national ressort en bien piètre état. La crise viticole - Le Petit journal - 9 juin 1907Une pénurie de vin se fait sentir et engendre de la fraude jusqu'à la fabrication de vins frelatés.
Dans ce cas, deux vins voire trois plutôt qu’un seul, sont élaborés avec la même récolte. L’ajout d’eau et de sucre au marc lançait une fermentation… C’est ce vin qu’on appelait piquette.
Face à cette déviance, une définition légale du vin est créée en 1907 : “produit de la fermentation complète ou partielle du raisin frais ou du jus de raisin frais ".
Dans cette dynamique, les vignobles de qualité ont souhaité réglementer les limites géographiques de production.
Le 6 mai 1919 est promulguée une loi qui, pour la première fois, protège et garantit l'origine des produits. C'est le fondement des AOC, promises à un bel avenir.

Face à ce fléau, il a fallu rapidement plancher sur diverses solutions. On a d’abord utilisé des insecticides, ils se sont avérés inefficaces. L’immersion des vignes pendant l’hiver pour le noyer a été testée mais tous les vignobles, notamment ceux en coteaux, ne pouvaient pas être inondables. La piste de variétés hybrides et résistantes n’a pas donné le résultat escompté, la qualité des vins produits s’avérait insuffisante.

À lire aussi : Stephan Balay, réalisateur de "Vitis Prohibita" sur les cépages interdits victimes collatérales de la crise du phylloxéra

En 1873, la solution trouvée par le professeur Émile Planchon à Montpellier est de loin la plus pertinente : greffer sur des racines américaines des plants français. Ainsi, on dispose d'un porte-greffe résistant, mais doté de la qualité des cépages traditionnels.

Aujourd’hui, tous les cépages sont sur des porte-greffes d’origine américaine.
Tous ? Non ! Un petit groupe d’irréductibles cépages résiste encore et toujours à l’envahisseur. Sous certaines conditions, certes… Voici une parenthèse qui vous en dira davantage :

 

La parenthèse masquée : "Vins issus de vignes franches de pied"

Par Le Sommelier Masqué
Thierry Germain, Domaine des Roches Neuves, Cuvée "Franc de pied"On ne peut évidemment pas parler de l'impact des insectes nuisibles sans parler de la crise du phylloxéra. La solution des porte-greffes américains est la source de nombreux débats chez les passionnés du vin : est-ce que le pied américain, pas vraiment connu pour ses caractéristiques oenologiques, ne dénature pas le goût des raisins de la 'Vitis Vinifera' européenne? J'ai toujours trouvé ce sujet passionnant et, dans la réalité, je n'ai jamais réellement trouvé confirmation scientifique d'un impact positif ou négatif à mon grand regret.

Depuis quelques décennies, certains vignerons se sont donc lancés dans des plants "Francs de pied" ou "Pied franc" où la vigne est plantée en direct sans son porte-greffe américain. Seule contrainte, mais tout de même forte: en général, les sols doivent être plutôt sableux, une configuration géologique qui empêche le développement de ces maudits insectes. Ainsi j'ai pu goûter certains vins "francs de pied", notamment dans la Loire où cette tendance est très forte chez la jeune garde sur les cépages Cabernet Franc ou Gamay.

Résultats, très subjectifs selon moi : en théorie, des vins différents, plus amples et plus denses. Je reste perplexe sur ce sujet pour être très honnête... Selon moi l'impact du type de sol fait toute la différence sur la profondeur du vin, pas vraiment le pied. Mais c'est un avis très personnel! Si vous souhaitez faire un essai, je vous recommande une petite commande chez Thierry Germain, le Domaine des Roches Neuves à Saumur : faites-vous votre propre opinion en achetant sur la même années sa cuvée "Mémoires" et "Franc de Pied".

Domaine des Roches Neuves : www.rochesneuves.com

Faisons connaissance avec Antispila Oinophylla

L’ordre des Lépidoptères (ou papillons), compte 130 familles et plus de 160 000 espèces caractérisées par une trompe en spirale et deux paires d’ailes couvertes d’écailles à l’état adulte. Au sein de cet ordre, la famille des Heliozelidae rassemble de petits papillons diurnes ayant une tête lisse et brillante.
Dans cette famille, celui dont nous allons parler fait partie du genre Antispila, espèce dite “mineuse de vigne”.

Antispila oinophylla  - ©van Nieukerken and EisemanSa tête couverte d'écailles métallisées blanc argenté est assortie à son thorax brillant auquel sont accrochées des pattes grises et un abdomen de couleur plomb.

Ses ailes antérieures fuchsia foncées arborent des motifs argentés et dorés contrastant avec les ailes antérieures postérieures gris pâle. Il mesure 3 millimètres de long et 5 millimètres toutes ailes déployées.
Cela correspond à la moitié des dimensions d’une mouche !

Zone d'origine : l’Est du Canada et du Nord-Est des Etats-Unis   - ©van Nieukerken and EisemanEn 2007, sa découverte dans les régions de Trente et de Vénétie en Italie a suscité mystère et perplexité. L’espèce n’était pas connue de la science avant cette première observation en Italie  D’abord confondu avec un papillon de l’Est du Canada et du Nord-Est des Etats-Unis,  Antispila ampelopsifoliella, c’est en 2012 que des analyses moléculaires plus poussées ont permis de faire la lumière sur ce parasite.
Il s’agit en réalité d’une nouvelle espèce baptisée dès lors Antispila Oinophylla. 

Son apparition soudaine en Europe loin de son berceau originel montre qu’il a vraisemblablement été introduit par l’action involontaire de l’homme via le transport international. Son déplacement soudain pour des raisons climatiques est à écarter.
Si c’était le réchauffement climatique, on observerait un front d’invasion progressif du sud vers le nord de l’hémisphère nord. Hors ici, on observe un saut de présence important qui ne peut être que d’origine anthropique.” précise Lionel Delbac.

En italie, zone touchées par l'Antispila oinophylla  - ©van Nieukerken and EisemanQue ce soit dans une latitude assez au nord dans son bassin d'origine, ou en Italie dans des environnements hauts en altitude, tout porte à croire que ce papillon soit friand de fraîcheur et d’humidité. Ces deux facteurs seraient des conditions indispensables pour l’espèce.

Aujourd’hui, on trouve d’autres espèces proches de l'Antispila oinophylla en France, notamment dans le sud-est où la région PACA est surveillée...

Son modus operendi ou pourquoi est-il dangereux pour la vigne ?

Vitis vinifera, qui nous intéresse ici, n’est qu’un des hôtes d’Antispila Oinophylla. On la retrouve aussi dans la vigne vierge (Parthenocissus quinquefolia), la vigne des rivages (Vitis riparia) ou encore Vitis estivalis originaire d'Amérique du Nord.
Pendant les mois de juillet à septembre, la vigne produit beaucoup de feuilles. Cette même période coïncide avec la phase larvaire du papillon durant laquelle deux générations d’insectes ont été observées.

La famille de la vigne Vitaceae comprend un groupe important de plantes-hôtes pour le genre Antispila dans le monde entier ; sur les 32 espèces d'Antispila dont les plantes-hôtes sont connues, 13 se nourrissent de Vitaceae, dont au moins dix sont associées au genre Vitis.

Dans les faits, l'œuf est pondu à l’intérieur des feuilles généralement à 1 ou 2 mm d'une nervure. Mine creusée par l'Antispila oinophylla - ©van Nieukerken and EisemanLa larve, une fois sortie de l'œuf, mine une galerie dans l’épaisseur de la feuille vers la nervure jusqu'à l'atteindre puis continue sa galerie en s’en éloignant un peu.
L'ensemble de la mine occupe en général une surface inférieure à une pièce de 1 euro.

À ce stade, la larve s’arrête.
Elle découpe une section de feuille ovale sur les surfaces supérieure et inférieure. Grâce à la soie qu’elle produit, elle forme un étui en réunissant les sections de feuilles excisées

Dégâts sur la feuille de vigne - ©van Nieukerken and EisemanLentement, elle se déplace sur la surface de la feuille en transportant sa coque et, grâce à un fil de soie, descende jusqu'à ce qu'elle entre en contact avec une surface dure : tronc de vigne, piquet, tuteur ou tout autre objet sur lequel elle fixe son étui.

C’est dans cette coque douillette qu’au mois de mai elle mue en nymphe. La dernière phase ne tarde pas et la nymphe se transforme dès début juin en adulte appelé imago.

Les études menées sont récentes, il y a donc peu d'informations sur les cépages de prédilection de ce charmant petit insecte. Il semble néanmoins qu'il ait une préférence pour certains le Cabernet Sauvignon, le Chardonnay et le muscat

Nous l’avons vu, la larve creuse sa galerie dans l’épaisseur de la feuille. Ainsi, elle se nourrit d’une substance dont elle est particulièrement friande : le parenchyme. Il s'agit ni plus ni moins des cellules indispensables à l'échange gazeux et à la photosynthèse de la vigne. Autant dire une substance vitale

La conséquence principale est la défoliation et donc l'affaiblissement général de la plante si bien qu’en Italie, l’impact de ce ravageur dans certains vignobles a été très important voire catastrophique avec plus de 90% de feuilles infestées.

Même si côté Italien, des traitements insecticides ont été envisagés, “il existe une régulation naturelle par des hyménoptères parasitoïdes Eulophidae ou Braconidae, dont une espèce Cirrospilus pictus qui a été observée en Italie. Des taux d’efficacité des parasitoïdes [organisme qui se développe au détriment d'un autre organisme, appelé « hôte », qu'il tue inévitablement au cours ou à la fin de ce développement. NDLR] peuvent atteindre 77 % dans certains cas, ce qui est très élevé. Néanmoins cela concernait des parcelles atteintes à 100% du feuillage !” nous confie Lionel Delbac

Le futur est donc de suivre cette espèce comme toutes les espèces invasives potentielles en France sur la vigne...

Remerciements et sources

Un grand merci à Lionel Delbac pour ses réponses et sa disponibilité.

www.reussir.fr
zookeys.pensoft.net/article/2460/list/2/
www.dico-du-vin.fr
www.wikipedia.fr
www.lhistoire.fr
www.futura-sciences.com
www.inrae.fr
www.mnhn.fr
www.theguardian.com

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