Créateur de la méthode Œnoflair basée sur des travaux issus de la parfumerie pour améliorer la compréhension de l'olfaction des vins, Richard Pfister est aussi l'auteur des Parfums du Vin aux éditions Delachaux.
Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
Fils de vigneron en Suisse romande, j’ai baigné depuis mon enfance dans le monde du vin. Mon père a toujours été curieux et ouvert, il a été le premier déclic pour que je m‘intéresse au vin et à la dégustation.
A la fin de mes études d’ing. oenologue à Changins, en Suisse, j’ai eu la chance de choisir un sujet de thèse qui m’intéressait beaucoup : les méthodologies des parfumeurs créateurs et leurs possibles applications en analyse sensorielle des vins. Un parfumeur créateur de Genève s’est intéressé à la problématique et m’a pris sous son aile pour m’enseigner le b.a.-ba de son métier.
À la fin de cette thèse, primée, je suis parti vinifier en Espagne en 2004, chez Gramona, un des meilleurs domaines du Cava. Ensuite, ce même parfumeur m’a proposé de travailler chez lui. J’y suis resté près de 7 ans, à apprendre le métier de parfumeur créateur puis à participer à la création de parfums de luxe. Après cela, j’ai eu envie de revenir dans le monde du vin pour me rapprocher de la nature et retrouver cette convivialité qui lui est propre. J’ai donc commencé à proposer des formations olfactives spécifiques, tout en gardant un pied dans la parfumerie et dans la recherche en olfaction. En 2013, j’ai écrit un livre sur ces liens entre vins et parfums, ce qui m’a permis de trouver une certaines reconnaissance internationale. Si bien qu’aujourd’hui je partage mon temps entre des formations, des conférences et du consulting olfactif dans les pays viticoles, principalement en Europe.
Entre les analyses olfactives d’un vin et d’un parfum, quels peuvent être les points communs et les différences ? (vocabulaire, méthodes, notes de tête / coeur / fond, …)
Répondre à cette question nécessiterait plusieurs pages…
Très succinctement, il y a une différence temporelle : un vin est souvent dégusté sur quelques minutes, alors qu’un parfum peut se flairer sur plusieurs heures pour les notes de fond.
Le vocabulaire des odeurs naturelles est proche, même s'il y a plus de références en parfumerie. Par contre, un parfumeur utilisera nettement plus un langage basé sur les molécules qu’un oenologue, à part pour les défauts du vin.
Le tableau de classification des odeurs que vous avez mis au point ouvre le champ des possibles pour les dégustateurs.
En quoi diffère-t-il de ceux que l’on rencontre habituellement ? Et comment l’utiliser de manière optimale lors d’une dégustation ?
La plupart des classifications rangent les descripteurs par ressemblances olfactives. Cependant, beaucoup d’odeurs, tant sous forme de molécules pures que sous forme d’odeurs naturelles complexes, peuvent intégrer plusieurs groupes, car elles évoquent diverses images odorantes selon les individus qui les sentent, ainsi que pour un même individu donné. Par exemple l’odeur du narcisse évoque tout autant des impressions animales (à cause de la présence de notes crésyliques) que florales et peut donc tout à fait être classée dans les odeurs animales, florales ou les deux ! La nouvelle classification novatrice contourne ces difficultés grâce au classement réalisé en fonction de la nature des objets qui représentent les odeurs. Cassis et groseille sont classés dans les baies non pas parce qu'ils sentent comme des baies, mais parce que ce sont des baies. Tout le monde est d’accord avec ça. Alors que ranger des odeurs par ressemblance olfactive fait intervenir les références de chacun, qui ne sont souvent pas les mêmes. Et comme on dispose de récepteurs olfactifs en partie différents, on ne pourra jamais être tous d’accord sur la ressemblance entre les odeurs.
L’emploi systématique de termes simples et concrets, tirés du langage courant, permet une visualisation et donc une mémorisation aisée des odeurs. Le classement en groupes logiques, naturels, contribue aussi largement à une utilisation facilitée.
Cette classification facilite aussi la description en guidant le dégustateur à choisir une ou deux dominantes, pas plus, avant le choix des familles, indépendantes des dominantes. Puis, le choix des descripteurs finaux est facilité en partant depuis les listes proposées par les familles.
Quelles sont les différences entre arômes, parfums, odeurs ?
Arôme : uniquement les odeurs senties par rétroolfaction (terme pour le moins galvaudé dans le monde du vin…)
Odeurs : terme très général désignant tous ce qui procure une sensation olfactive (olfaction directe + rétroolfaction)
Parfums : à la base réservé aux produits odorants pour parfumer le corps, mais aussi utilisé pour désigner des odeurs agréables de tout type
Certaines odeurs nous renvoient à des souvenirs parfois très anciens (colle Cléopâtre, crayons de couleurs..).La mémoire olfactive est donc très puissante ! Toutes les odeurs peuvent-elles être aussi persistantes ?
Oui, si on associe une émotion à une odeur, le souvenir est très persistant. Mais, sans émotions, le passage de la mémoire à court terme à celle à long terme est difficile, d’où l’importance d’un entraînement régulier.
Dans votre livre, vous répertoriez 150 odeurs du vin avec pour chacune les « composantes principales » (molécules)? Comment pouvons-nous utiliser ces informations pour les dégustations ?
Ces molécules permettent de mieux se comprendre entre dégustateurs. Prenons par exemple l’alcool phényléthylique, qu’on peut retrouver par exemple dans les vins de Gewürztraminer et qui fait souvent penser soit à la rose, soit au litchi. Mon livre permet de montrer au dégustateurs que, malgré les termes différents qu’ils emploient, ils sentent probablement exactement la même chose.
Vous notez également dans votre livre des « odeurs proches » pour chacune des 150 répertoriées. Pour le cas de la mûre, le jasmin et le lys sont ses odeurs proches. Cela voudrait-il dire qu’un dégustateur qui perçoit du lys là où il n’y a que de la mûre serait dans le vrai ?
Disons qu’il est quasi impossible d’avoir exactement l’odeur de lys comme de mûre dans un vin. Par contre, une ou plusieurs molécules peuvent nous faire penser au lys ou à la mûre, pour ce citer qu’eux, comme par exemple l’anthranilate de méthyle. Si cette molécule est présente dans un vin, certains dégustateurs penseront sentir du lis, certains de la mûre, d’autres les deux.
Si un vin possède une odeur de mûre par exemple, le cerveau l’analysera t-il de la même manière que si c’était une vraie mûre ?
Notre cerveau va tenter, par analogie, de trouver à quelle référence mémorisée un mélange de molécules peut nous faire penser. Le mélange ne sera jamais exactement l’odeur naturelle de la mûre, mais notre cerveau va se rapprocher de ce qu’on a de moins éloigné. Il s’agit de la même manière de procéder face à un flacon d’arôme, même si ce sera plus proche et surtout moins complexe puisqu’il n’y aura pas de nombreuses autres odeurs « parasites » autour comme c’est le cas avec un vin qui est composé de centaines de molécules olfactives différentes.
Comment fonctionne la rétro-olfaction? Perçoit-on des odeurs par ce biais que l’on n’aurait pas perçues par la seule analyse du nez ?
Les odeurs passent par l’arrière du palais et remontent ensuite dans notre nez. Puis elles se lient aux récepteurs olfactifs comme par olfaction directe. Comme le passage des odeurs est plus compliqué, on sent parfois moins certaines molécules.
Cependant, les bactéries et enzymes qui sont dans notre salive nous permettent de mieux sentir certaines odeurs, en coupant les liens qui retenaient des molécules à des précurseurs qui gênent leur volatilité. De plus, souvent dans une faible mesure toutefois, la température de notre palais peut avoir tendance à améliorer la volatilité des molécules et donc leur flairage.
La facilité / faculté à isoler une odeur parmi d’autres est-elle innée ou acquise ?
La limite entre l’inné et l’acquis est difficile à situer. Mais je reste persuadé que l’entraînement surpasse tout. Même si l’entraînement dépend aussi du milieu dans lequel on a vécu en tant qu'enfant et peut donc commencer, inconsciemment souvent, très tôt.
Vous avez écrit que 70% de la dégustation se fait avec le nez. On a parfois l’impression qu’elle se fait en grande partie avec le palais. Comment s’y retrouver ?
70% de la dégustation se fait avec l’olfaction, y compris la rétroolfaction. Bouchez-vous les narines pour empêcher la rétroolfaction et vous verrez le peu de sensations que vous aurez en bouche…
Les sens séparés les uns des autres sont intéressants pour une analyse précise, mais ils sont nécessaires d’être tous présents pour comprendre l’entier d’un vin et le plaisir qui en découle.
Quelles suggestions pourriez-vous donner pour que pendant les dégustations, l’analyse du nez soit optimale ? (Méthode, condition, etc…)
- D’abord se concentrer seul pour éviter d’être influencé. Puis ensuite partager avec les autres pour compléter son analyse.
- Flairer d’abord de manière globale, avant de se concentrer sur des éléments plus précis afin d’en déterminer les familles puis les descripteurs.
- Sentir le matin, avant que notre nez soit fatigué par les odeurs de la journée, est plus efficace qu’avant de manger, malgré l’appétit qui peut aiguiser nos sens.
Pourriez-vous nous parler du coffret d’arômes Oenoflair que vous avez conçu et dont la sortie est prévue très bientôt ?
Œnoflair est une collection de 152 odeurs des vins en petites fioles. Elle contient des odeurs de grande qualité, principalement naturelles, afin de s’entraîner avec plaisir et efficacité. Des odeurs inédites qui n’ont jamais été créées ou isolées dans ce type de collection sont aussi présentes.
Des flacons additionnels contenant des assemblages de plusieurs odeurs de la collection permettent de s’entraîner comme en présence de vins, le but étant de tenter de reconnaitre les odeurs qui les composent. Des conseils de mémorisation, des exercices et des jeux olfactifs accompagneront les flacons. Le packaging est pensé pour une conservation optimale des odeurs.
Préparée initialement pour les dégustateurs professionnels, elle sera aussi disponible pour les amateurs à priori suivant deux formats de 168 et 50 flacons.
Comment pourriez-vous nous orienter pour arriver à mettre le nom sur une odeur ? (Méthodologie, processus, …?)
Il est important de toujours suivre la même méthodologie, de manière à structurer notre mémoire. D’abord commencer par rechercher une catégorie large qui nous fait penser à l'odeur, par exemple une dominante, puis resserrer les possibilités avec le choix d’une famille comprise dans la dominante en question. Et enfin, se remémorer quelles odeurs font partie de la famille afin de sélectionner l’odeur précise.
La question « Quel est votre meilleur souvenir de dégustation ? Le pire? » est habituellement posée lors des interviews sur Spiritus Vinum. Pour vous, j’aurais bien envie de rajouter « votre meilleur souvenir olfactif? Le pire » :-)
Mon meilleur souvenir olfactif : le premier verre de vin que j’ai pu sentir puis boire après deux mois d’hospitalisation suite à un accident de moto à Barcelone Mon chirurgien, amateur de vin, m’a glissé à l’oreille qu’il ne serait pas contre un verre de vin par jour pour favoriser mon rétablissement et conseillé de passer outre aux recommandation de l’hôpital dans lequel je me trouvais ;-)
Le pire : la suite d’une crève très violente l’an passé qui m’a laissé sans aucune sensation olfactive pendant plus d’une semaine, alors que le rhume avait disparu.
Merci, monsieur Pfister, d'avoir accepté de répondre à ces questions !
www.oenoflair.ch/
"Les parfums du vin. Sentir et comprendre le vin" Éditions Delachaux et Niestlé
Propos publiés sur ce site avec l'aimable autorisation de Richard Pfister