fbpx
Partagez cet article sur :
Dans le vignoble de l'Etna (© Charles Frankel)

Géologue et volcanologue de formation, Charles Frankel enseigne en France et aux États-Unis.
Alliant ses passions pour la vigne et le vin ainsi que son talent de vulgarisateur scientifique, il est l'auteur de plusieurs livres : Terre de Vignes (Seuil - 2011), Guide des cépages et terroirs (Eyrolles - 2013), Vins de feu (Dunod - 2014).Thomas Pesquet et Charles Frankel (APM) lors d’une pause dans le tournage. (Photo © Charles Frankel) Sa connaissance pointue des sols et des sous-sols ainsi qu'une volonté dans les année 80 de rejoindre les astronautes de la NASA et ainsi participer à la conquête de la planète Mars l'ont conduit à intervenir en 2017 dans un documentaire, en collaboration avec l'astronaute Thomas Pesquet, sur les conditions de futurs vols habités vers la planète Mars. Quel meilleur endroit que le vignoble atypique de Lanzatote aux endroits très martiens !
Entre une dégustation de Lacryma Christi sur le Vésuve, un tournage dans le vignoble atypique de Lanzarote et l'écriture d'un article sur son blog scientifique, il a eu la gentillesse de répondre à quelques questions.

Bonjour Monsieur Frankel et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pourriez-vous nous dévoiler quelques aspects de votre parcours professionnel et en quoi consiste votre métier ? 

Charles Frankel : géologue, volcanologue, auteur et amateur de vinsNé à Paris d’un père français et d’une mère américaine, j’ai étudié la géologie aux Etats-Unis, avec une spécialisation en volcanologie et l’ambition de travailler dans l’exploration des planètes (Mars en particulier) à la NASA.
Les errements du programme spatial américain à cette époque (les années 1980) m’ont conduit à me réorienter vers la vulgarisation scientifique, notamment dans les domaines de la géologie, planétologie et astronomie.

En étudiant la géologie de la France pour un livre que j’ai écrit au début des années 2000, j’ai traversé nombre de vignobles, et comme j’étais par ailleurs un amateur de vins, l’envie m’a pris d’écrire un second livre se focalisant sur l’influence de la géologie sur le terroir.

On utilise souvent le mot terroir.
Que regroupe ce terme et de quelle manière influence-t-il la vigne et le vin ?

Le terroir est un concept assez vaste, et controversé. Il signifie « l’esprit » d’un lieu, d’un point de vue agricole et viticole, qui réunit la nature du sol, le climat, et au sens large les traditions et l’expérience du viticulteur. De nombreux puristes critiquent ce concept en mettant en avant le fait que si l’on se réfère uniquement à la chimie, il n’y a aucune preuve qu’un vin traduit dans ses arômes la composition chimique du sol, et c’est exact.
Mais c’est perdre de vue les dimensions beaucoup plus larges et multiples du concept, à savoir que le sol d’un lieu abrite une microfaune (dont les levures) qui influence la vigne ; la texture du sol influence la distribution en eau ; la proportion de graviers, cailloux et galets influence la quantité de chaleur rayonnée sur le raisin ; et à plus grande échelle le relief d’un lieu, de par la pente et l’orientation, affecte l’insolation et le parcours de l’eau, la stagnation ou pas de la brume, sans compter le climat régional à grande échelle que le relief impose. 

Le terroir est un concept assez vaste, et controversé. Il signifie « l’esprit » d’un lieu, d’un point de vue agricole et viticole, qui réunit la nature du sol, le climat, et au sens large les traditions et l’expérience du viticulteur

Charles Frankel

La légende dit que le géologue aime le vin car il lèche les cailloux… :-)

Selon le type de sol, perçoit-on des arômes de minéralité différents dans les vins ?

Malgré la légende, la chimie du sol et ses minéraux ne se reflètent pas directement dans un vin, et les associations d’idée sont souvent le fruit du hasard. Ainsi, le sauvignon a souvent un arôme fumé (d’où l’appellation Pouilly Fumé) et son terroir de prédilection, Pouilly-sur-Loire et Sancerre, possède par hasard des bancs de silex dont on connaît l’odeur de pierre à fusil lorsqu’il est frotté.
Mais c’est une coïncidence. De même, le gamay a souvent un arôme poivré, et c’est un hasard qu’en Auvergne, il est souvent cultivé sur pépérite : un mélange « poivre et sel » de basalte et calcaire. Là aussi une heureuse coïncidence, mais l’esprit humain adore les coïncidences…

En fait, quand on dit d’un vin qu’il est « minéral », c’est souvent pour dire que son arôme est neutre, sans bouquet prononcé de fleurs, ni de fruits.

Grand spécialiste du terroir vous êtes aussi passionné par les volcans.
Pouvez-vous nous dire pour quelles raisons ils ont de tout temps constitué des terroirs viticoles de qualité ?

Certains volcans constituent des terroirs renommés, qui remontent parfois à l’Antiquité, comme Santorin, le Vésuve et l’Etna. Le renouvellement constant de minéraux, permis par les éruptions, favorise la croissance de nombreuses plantes, et notamment le sable volcanique, pierre ponce et pouzzolane sont faciles à travailler.
Tout comme les coulées de lave elles-mêmes, ils sont non seulement riches en soufre et phosphore, fer, potassium, et en nombreux autres métaux et oligoéléments, mais leur texture granuleuse, alvéolée ou fissurée permet une bonne circulation et évacuation de l’eau de pluie, et l’argile volcanique son stockage en sous-sol.

Les volcans, leurs cônes et leurs rifts offrent également des pentes exposées dans de nombreuses directions qui permettent une grande gamme d’exposition au soleil, ainsi qu’un registre varié d’altitudes. Dans un pays chaud comme la Sicile, notamment, l’Etna offre en altitude de la fraîcheur propice à un mûrissement progressif du raisin, synonyme de meilleure qualité.

L'Etna
"Dominant la Sicile du haut de ses 3 350 mètres, l’Etna est « une île dans une île » dont l’écosystème complexe est étagé selon l’altitude et l’orientation. Entre les agrumes de bas de pente et les châtaigniers d’altitude, le volcan possède une ceinture viticole qui donne des vins rouges capiteux, rappelant les grands bourgognes et les blancs minéraux au bouquet floral. Leur réputation est en hausse constante grâce aux efforts conjugués des vignerons siciliens, toscans, et même étrangers."
(Extrait de "Vins de Feu, Dunod, 2014)

On parle de la multitude et de la richesse des terroirs français.
Y a-t-il une équivalence dans le monde ?

La France n’est pas seule à pouvoir se targuer de posséder d’excellents terroirs, très variés : calcaires et argiles, schistes, sables et galets, sédiments volcaniques et marins. L’Italie possède une diversité tout aussi remarquable, et à plus petite échelle, la Napa Valley en Californie et la Willamette Valley dans l’Oregon offrent une multitude considérable de types de sol.

Quel vin vous a le plus surpris et celui qui vous laisse le plus grand souvenir ?

Le premier vin qui m’a surpris, alors qu’à 20 ans je ne connaissais pas grand-chose de ce monde, fut un sancerre rouge, à la robe pâle et tuilée, dégusté chez des amis de mon âge qui l’avaient choisi pour un repas de Pâques ou de Noël, je ne sais plus. La seconde révélation fut la visite fortuite de la colline de Corton, en Bourgogne, et la dégustation deux ans plus tard de la bouteille qu’un vigneron m’avait offerte et que j’avais précieusement gardée : un coup de foudre.

Et que de surprises par la suite : les côtes-de-provence rouges, un sancerre blanc aux arômes de fruits exotiques, les pinots noirs de la Willamette Valley sans l’Oregon, qui se sont hissés à la hauteur des grands bourgognes… 

Avant d'embouteiller cette interview, souhaitez-vous rajouter une dernière chose pour la route ?

Comme l’a écrit Rabelais, buvez toujours et ne mourrez jamais…

----------

Propos et photos publiés sur ce site avec l'aimable autorisation de Charles Frankel.

 

Partagez cet article sur :